La première soirée d’Alyna à Hightower s’était révélée particulièrement difficile. Une fois seule, elle avait pu explorer la chambre qu’on lui avait attribué à loisir. C’était un espace confortable, avec un lit simple orné d’une courtepointe en velours grenat, d’un secrétaire avec une plume et quantité d’encre et de papier, ainsi qu’une grande armoire dans laquelle ranger ses vêtements et sa lingerie. Une minuscule coiffeuse ornait un coin de la pièce, où était disposée une brosse avec une poignée en ivoire. Un cadeau, devina-t-elle. Le plus impressionnant restait sans doute la vue depuis la fenêtre d’angle, qui lui offrait un panorama sur toute la cité. Elle réalisa alors combien la ville était grande et combien elle était seule. Si elle avait fait bonne figure depuis son départ et à son arrivée, Alyna sentit l’abattement la gagner et les larmes lui brûler le coin des yeux. La jeune femme inspira courageusement pour les contenir, tâchant de rester digne malgré le sentiment de solitude qui vint se nicher tout contre son cœur. Détachant sa chevelure argentée, elle prit le temps de faire un brin de toilette et de passer une chemise de nuit avant de s’attabler pour écrire à ses parents et à sa sœur. Si elle se contenta de rassurer les premiers, elle écrivit une longue lettre à sa jumelle avec force détail, décrivant les protagonistes de son récit et en réalisant même quelques dessins dans la marge. Alyna avait un beau coup de crayon, quand elle se donnait la peine de dessiner. Les traits durs d’Edris naquirent dans un angle de sa lettre, tandis que la silhouette d’Ivana émergea dans la marge. Lorsqu’elle eut fini, elle tenta de se représenter Elyra lisant son récit près d’une cheminée dans le grand nord, auprès de son prince. Elle espérait que sa lettre lui parviendrait sans encombre. Elle la cacheta avec soin, enfonçant sa petite bague aux armoiries des Warcross dans la cire. Puis, enfin, elle se laissa tomber dans son lit pour se laisser aller au sommeil.


Le lendemain matin, Alyna ouvrit péniblement les yeux au son d’une cloche tonitruante. Le soleil venait à peine de se lever, dardant ses rayons ocres à travers les vitres de sa chambre. Étouffant un bâillement, la jeune femme enfonça la tête dans son oreiller pour faire disparaitre le tintement désagréable de la cloche. Néanmoins, celle-ci semblait dangereusement se rapprocher de sa chambre. Elle poussa un gémissement de protestation avant de se redresser. Visiblement, ce son signifiait à toutes les jeunes filles qu’il était temps de quitter les bras de Morphée pour gagner le giron de la souveraine. Alyna constata avec déplaisir qu’une pile de vêtements l’attendait aux pieds de son lit : une servante avait dû entrer déposer cela avant l’aube, sans qu’elle ne l’entende. Elle s’approcha, glissant une main sur l’étoffe qui lui parut bien somptueuse. Il s’agissait d’une robe de brocart écarlate aux fins reflets dorés, dont les manches étaient fendues et le col dégagé. Une coupe idéale en cas de décapitation, songea Alyna avant de se décider à l’enfiler. Elle serra elle-même son corsage, tressa ses cheveux finement avec autant d’élégance que possible et admira son reflet dans le petit miroir placé dans sa chambre : elle était prête. Après avoir passé une paire de boucles d’oreille ayant appartenu à sa grand-mère, elle se décida à sortir. La tête haute, les épaules en arrière, elle attendait que l’on vienne la chercher pour l’introduire auprès de la souveraine du royaume, la femme qui avait décidé d’assassiner son frère.

Ivana avait passé une soirée des plus ordinaires malgré l'arrivée de la jeune fille, qui semblait préférer rester dans sa chambre selon les rapports qu'elle avait reçus. Après le souper de la reine, Ivana avait eu l'occasion de passer du temps avec sa souveraine, brossant longuement sa chevelure blonde tout en bavardant loin des oreilles indiscrètes de la cour. Elles avaient évoqué rapidement Alyna Warcross, que Ivana décrivit comme une demoiselle pleine d'esprit, au tempérament fier et à la volonté de fer. Elle souligna ses qualités, tout en notant le risque que son impulsivité et son caractère provocateur pouvaient représenter.

Une fois la reine endormie, Ivana regagna ses appartements pour s'atteler à sa correspondance. Une lettre du gouverneur de Luttange exprimant ses doléances attira son attention, mais elle décida de la rejeter sans y répondre. La reine avait pris sa décision, et elle n'interviendrait pas en faveur de cet homme qu'elle jugeait avec sévérité, il ressemblait bien trop à feu son époux à ses yeux. Elle avait finalement gagner son lit, savourant le silence du palais à cette heure tardive avant de fermer les yeux.

Au matin, Ivana fut réveillée avant l'aube, comme à son habitude. Elle se prépara avec soin, revêtant une robe de soie finement brodée. Alors que le réveil des demoiselles de compagnie de la reine retentissait, elle vérifia l'heure à sa montre - merveille du savoir okarynien qu'elle tenait de sa mère -. Elle sortit ensuite de sa chambre et assista au réveil de la reine, orchestrant son lever en compagnie des autres dames de la cour. Elle s'éclipsa ensuite pour s'assurer de la ponctualité de ses jeunes protégées, découvrant dans le couloir la nouvelle venue qui observait le manège matinal avec oisiveté.

"Alyna, venez avec moi, je vous prie", ordonna-t-elle en passant devant elle, la guidant jusqu'aux appartements royaux où la reine prenait son petit-déjeuner. Ivana s'arrêta à la porte, levant la main pour intimer à Alyna de s'arrêter également. Elle s'inclina profondément devant la reine, puis déclara d'une voix claire :

"Votre Majesté, permettez-moi de vous présenter Alyna Warcross, la fille de votre cousine, qui vient d'arriver à la cour pour vous servir."

Ravenna était attablée comme chaque jour à cette heure-ci pour prendre son petit déjeuner entourée de sa cour la plus proche, un honneur accordé à ses suivantes, dames et demoiselles de compagnie. Elle pouvait sentir la présence rassurante d'Edris, quelque part dans la pièce, qui suivait la scène de son œil attentif. Ivana n'était pas à ses côtés contrairement à son habitude, mais en connaissant la raison, elle ne s'en offusqua pas et mangeait avec un calme princier ce premier repas de la journée.

Lorsque la porte s'ouvrit sur Ivana, sa plus fidèle amie, Ravenna esquissa un léger sourire, l'observant s'agenouiller sans rien dire pour l'en empêcher. Son regard curieux se posa ensuite sur la jeune fille qui l'accompagnait : Alyna Warcross, la fille d'un lointain cousin et de sa cousine germaine. Elle avait été demandée en toute hâte pour calmer la fureur d'un homme que la souveraine avait nommé gouverneur de Luttange et qu'elle couvrait de ses bienfaits depuis.

Ivana suivait le protocole comme si elle l'avait elle-même inventé, se relevant avec grâce et élégance quand la souveraine l'y invita d'un geste, montrant l'exemple à toutes, et surtout aux plus jeunes, de ce que devait être leur port et leur maintient comme en chaque instant. Elle laissa la dame de compagnie la rejoindre d'un pas à la fois pressé et soigné, son attention toute tournée vers la jeune fille qui était bientôt seule à lui faire face. Elle était superbe, bien plus belle qu'elle ne l'avait imaginé bien que ses traits soient marqué par l'enfance encore et qu'elle arbore un air revêche.

D'une voix douce, Ravenna accueillit Alyna : "Ainsi, vous venez pour me servir, chère enfant. Approchez que l'on découvre davantage votre visage."

Elle lui offrit un sourire avant de lui tendre son couteau à viande, côté manche, ainsi qu'un verre. "Si votre volonté est sincère, cela ne vous fera pas mal."

Elle ignora consciemment Ivana qui dans son ombre mimait sa volonté en tirant un trait de son index en travers de sa paume.